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P. Goupille: « Pour un dialogue interreligieux, il faut accepter d’enlever ses chaussures pour entrer dans celles de l’autre »

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20121031GoupilleDans votre message de fin d’année relayée par la MBC TV le 1er janvier 2015 vous avez renouvelé l’engagement du Conseil des Religions dont la mission est de travailler pour la paix et l’harmonie entre les religions à Maurice. En fait, beaucoup de Mauriciens ne sont pas très au courant de ce qui se passe au Conseil des Religions et à quoi il sert ?

Ce sont les Nations Unies qui ont eu l’initiative de convoquer pour la première fois un « Parlement des Religions » en l’an 2000. Le Secrétaire Général des Nations Unies voulait susciter la collaboration des religions et leur énergie pour :
1) Favoriser le dialogue entre les religions dans le monde entier et construire la paix entre les pays déchirés par les guerres de religions.
2) Faire appel aux chefs religieux pour qu’ils apportent leur contribution dans la lutte contre certains fléaux sociaux qui affectaient le monde entier, comme par exemple l’épidémie du Sida.
Le Secrétaire Général des Nations Unies est venu à l’île Maurice en 2001, à l’expiration de son mandat. Il nous a fortement encouragés à fonder le Conseil des Religions pour suivre ces mêmes objectifs à l’échelle de notre pays. Il n’est pas possible ici d’énumérer toutes les initiatives que le Conseil Des Religions a prises depuis sa fondation pour susciter le dialogue entre les religions. Mais il est important de souligner la lutte commune que nous avons menée dans toutes les instances de formation des religieux (prêtres, pandits, imams) à Maurice pour destigmatiser le regard négatif de la société envers les personnes atteintes du virus HIV, pour leur montrer de la compassion et les aider à se remettre debout. Ce fut un travail très enrichissant de collaboration interreligieuse qui a contribué à donner comme une colonne vertébrale au Conseil des Religions. Faut-il préciser que le Conseil des Religions fait partie de Religions for Peace International qui regroupe les comités interreligieux de 90 pays.
– Êtes-vous satisfaits de votre bilan pour 2014 ?
Nous avons été heureux d’accueillir sur notre comité un représentant de la Mauritius Sanathan Dharma Temples Federation. Cette organisation s’était retirée du Conseil pendant quelques années ; c’est une grande joie pour nous de renouer les liens avec cette Fédération.
Nous avons beaucoup mis l’accent sur l’éducation. Du 12 au 15 août 2014 nous avons co-sponsorisé un séminaire avec Arigatou International basé à Genève. Cette ONG travaille pour favoriser le dialogue interreligieux au niveau des enfants et a aussi publié un programme pour l’éducation morale inspiré de l’interreligieux. C’est pendant ce séminaire que l’ex-ministre de l’Éducation Dr Bunwaree nous avait proposé de collaborer avec le gouvernement mauricien pour introduire ce module dans nos écoles. Nous avons beaucoup d’espoir que la nouvelle ministre de l’Éducation reprendra cette proposition. Nous avons souvent répété que le dialogue interreligieux doit commencer dès l’école primaire.
Il y a un projet de manuel qui est paru à la Réunion. Le manuel s’appelle « La Réunion des Religions », il est édité par Fabienne Jonca. C’est une initiative remarquable, parfaitement adaptée à la psychologie des enfants, et que nous voulons promouvoir dans les écoles primaires à Maurice.
– De ce que j’entends, pour le moment rien ne se fait dans les écoles pour l’éducation à l’interreligieux ?
Il y a l’excellente expérience coordonnée par le Frère Marcel Chapeleau au sein de son École des Valeurs Humaines, qui est rattachée à l’ICJM. Il s’agit d’une équipe de pédagogues de différentes religions qui ont travaillé ensemble pendant plusieurs années pour produire un parcours de formation. Cette formation est actuellement opérationnelle dans une trentaine de collèges confessionnels et non confessionnels.
Nous sommes heureux aussi d’avoir pu reprendre les cours à l’Université de Maurice au sein de la Faculté de Sociologie. Ce cours abouti à un certificat en « Peace and Interfaith Studies ». Les étudiants qui se sont inscrits sont très contents. Ils découvrent l’histoire de l’implantation des différentes religions à l’île Maurice, ils se familiarisent avec les textes sacrés de toutes les religions. Nous sommes heureux du soutien des autorités de l’Université de Maurice pour ce projet.
Pour les adultes qui désirent approfondir leurs connaissances des religions à Maurice, il y a le Centre d’Accueil et de Formation Interreligieuse de Pont Praslin qui depuis des années propose des sessions d’excellente qualité.
– Pendant la campagne électorale nous avons été témoins du soutien apporté par certaines organisations socio-culturelles à des partis politiques. Qu’en pense le Conseil des Religions ?
Je vous rappelle que le Conseil des Religions a fait sortir une déclaration déjà à 3 reprises pour les élections générales de 2005, 2010 et 2014, dans laquelle nous demandons aux organisations religieuses de ne pas s’engager dans la politique de partis. Nous reconnaissons que notre message n’a pas été entendu par tous, mais nous continuons à crier haut et fort que l’amalgame politico-religieux est une source potentielle de violence et de conflit dans n’importe quelle société. La déclaration du nouveau Premier Ministre, sir Anerood Jugnauth, précisant que les membres du gouvernement ne prendraient pas la parole dans les célébrations religieuses nous a beaucoup réjouit. Cela représente un grand progrès pour notre démocratie. Il nous faut absolument distinguer religion et politique partisane.

– L’on entend souvent que les Mauriciens sont religieux, que les différents festivals religieux sont très suivis dans notre pays. Pas de place au conseil interreligieux pour ceux et celles qui ne se réclament d’aucune religion ?
De notre petite enfance nous avons hérité d’une attitude vis-à-vis de Dieu qui est souvent mêlée à ce qui était notre attitude envers nos parents et nos maitres. Très souvent une réaction contre la foi religieuse à l’âge adulte n’est qu’une réaction contre un père autoritaire ou une mère dominatrice, et donc contre une institution religieuse qui apparait comme un prolongement de ces derniers. Quand nous commençons à nous libérer de nos attachements infantiles il se peut que nous soyons tentés de rejeter aussi la religion qui leur était associée en pensant avoir dépassé « tout cela ». En fait nous ne voulons peut-être plus du Dieu de notre enfance. Mais cela ne signifie pas forcément que nous ne voulions plus du tout de Dieu. Toute croissance spirituelle authentique exige que tout au long de notre vie notre représentation de Dieu évolue et se transforme continuellement.
Beaucoup de personnes qui se disent sans religion ne rejettent-elles pas en fait des fausses images de Dieu qui leur ont été transmises dès l’enfance ?
Il y a aussi ceux et celles qui ont été déçus ou trahis par des hommes religieux, qui ont subi un traumatisme dans leur enfance ou leur adolescence. Beaucoup aussi peuvent être choqués qu’il y a manque de cohérence entre la pratique de la religion et certaines valeurs fondamentales de justice et d’honnêteté.
– Comment retrouver une certaine crédibilité des religions ?
Une des manières de favoriser cette dimension se trouve justement dans la pratique ouverte et sincère du dialogue interreligieux qui nous force à remonter à nos sources. Un célèbre philosophe hindou disait que nos religions prennent chacune leur source dans une eau pure et sont parfois polluées quand elles se transforment en rivières. Le dialogue interreligieux nous force à retrouver vraiment l’essentiel de ce qui constitue la source de nos religions.
Dans toutes les grandes religions il y a une dimension importante que l’on appelle le « mysticisme » ou le développement de l’âme dans la contemplation pure et la méditation. A mon avis, cette expérience mystique qui est faite dans le bouddhisme, l’islam, l’hindouisme, la foi bahaïe, le christianisme, le judaïsme, est le lieu par excellence du rapprochement entre les religions. Nous avons eu l’occasion de l’expérimenter dans un séminaire il y a quelques années au sein du Conseil des Religions.
– Le rythme de vie dans nos sociétés actuelles et la prolifération des réseaux sociaux ne permettent pas beaucoup à nos compatriotes, jeunes et adultes, de se plonger dans la méditation ?

J’ai été personnellement beaucoup touché par une expérience qui se fait actuellement dans l’École d’Alphabétisation Fatima à Triolet. C’est une école spécialisée pour ceux et celles qui n’ont pas passé le CPE. La direction de l’école a pris l’initiative d’introduire des « classes de silence ». Ce qui m’étonne c’est que les élèves sont enthousiasmés et en redemandent !

– Après les attentats meurtriers en ce début d’année en France au nom de la religion, dans quel état d’esprit le Conseil des Religions s’apprête à marquer la journée internationale des Religions le samedi 17 janvier ?

Bien avant ces tristes évènements nous avions décidé de célébrer la journée mondiale en collaboration avec l’association Global Rainbow Foundation qui a fourni des prothèses à plus de 450 mauriciens et rodriguais qui avaient été amputés. Notre objectif c’était de montrer que toutes les religions montrent de la compassion envers les blessés de la vie. Soulager la souffrance et remettre l’homme debout est une dimension éthique où toutes les religions se retrouvent.

Nous avons déjà réagi le 12 janvier à propos des attaques terroristes qui ont frappé la France. Nous avons publié un communiqué de presse où nous disons clairement qu’il n’y a pas de justification possible pour de tels actes de violence. A la suite de Religions for Peace International, nous rejetons catégoriquement toute forme d’extrémisme qui s’inspire de la religion, nous rejetons toute forme de violence au nom de la religion. Nous avons affirmé qu’à notre avis ces violences défigurent le vrai visage de l’Islam. Nos organisations religieuses à Maurice et au niveau international doivent se retrouver dans un même élan de solidarité pour le respect de la personne humaine, le respect de la vie.

– Comment célébrer la religion après ces tristes évènements ?
Nous reconnaissons que dans l’histoire de l’humanité il y a eu beaucoup de guerres au nom de la religion. Mais il faut se garder de faire l’amalgame entre les vrais croyants dans toutes les religions et les dérapages des fanatiques. Nous sommes convaincus que chaque homme est à la recherche de la paix intérieure et qu’il veut donner un sens à sa vie. La religion c’est comme une graine que l’on sème en terre, il y a plusieurs couches dans l’âme humaine, comme dans la terre, qui reçoit la semence. Les valeurs religieuses sont souvent au plus profond de notre être. Comme une semence enfouie dans le profond de la terre, elles n’apparaissent pas toujours au dehors.
En célébrant la religion nous voulons célébrer la dimension spirituelle qui existe en chaque homme et qui ne demande qu’à s’épanouir.

– Si les initiatives du Conseil est Religions sont peu connues du grand public c’est qu’elles ne sont pas visibles ; est-ce que ce n’est pas dû à un déficit de communication ?
Nous travaillons dans un domaine où il n’est pas possible de mesurer les résultats avec des statistiques comme on le fait dans le domaine économique. Mais il est certain que nous souffrons d’un déficit de communication, nous essayons d’y remédier par exemple en ouvrant prochainement un site web et en nous exprimant à travers les medias. Nous avons fait par exemple le poster sur les billboards « Sida pas guette figir » qui a eu un certain succès.
– Le fait d’inviter les mauriciens à participer aux principales fêtes religieuses célébrées à Maurice ne veut pas nécessairement dire qu’il existe un dialogue interreligieux chez nous. Quel type de dialogue souhaitez-vous dans le contexte mauricien ?
C’est vrai qu’il ne suffit pas de participer aux principales fêtes religieuses. Pour entrer dans le dialogue interreligieux il faut accepter d’enlever ses chaussures pour entrer dans les chaussures de l’autre. Cela nécessite tout un travail sur soi-même, pour se dépouiller de tout reflexe de supériorité, pour entrer vraiment dans le vécu religieux de chaque personne et se mettre à sa place. C’est un exercice qui demande beaucoup d’humilité et de conversion personnelle.
– N’êtes-vous pas d’accord que l’école est le lieu « par excellence » pour une entrée pédagogique dans la religion de l’autre et pour initier l’enfant dès son plus jeune âge à ce dialogue auquel vous rêvez mais sans pourtant que les éducateurs fassent du prosélytisme ?
Je suis d’accord qu’il faut commencer dès l’école primaire. Il est certain que les manuels, les plus parfaits soient-ils, ne suffiront pas et qu’il faudra une formation des éducateurs. C’est un gros investissement mais qui vaut la peine. D’ailleurs nous n’avons pas actuellement le personnel compétent et les outils appropriés pour faire ce travail dans les écoles. Là encore, je reviens à l’École des Valeurs Humaines qui intervient déjà dans une trentaine de collèges.
– Ne pensez-vous pas que la télévision publique a aussi un rôle à jouer dans ce travail d’éducation des citoyens par rapport à la découverte des différentes religions ?
La télévision publique donne déjà beaucoup de temps à la diffusion des célébrations religieuses à Maurice. C’est bien pour les personnes qui veulent se familiariser avec les croyances et les rites des religions différentes de la leur. Mais il y a aussi tout un espace à créer et à développer pour faire comprendre vraiment le sens profond des religions.

16 janvier 2015

Père Philippe Goupille
Président, Conseil des Religions


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